de Don Miguel Ruiz : Jésus chez les Toltèques
Quatre conseils simples détaillés à outrance avec une pensée simpliste.
Ne lisez pas ce livre, vous valez mieux que cela !
Vous souhaitez une recette pour écrire vous-même un livre de
développement personnel comme Don Miguel Ruiz, c’est facile : trouvez
quelques conseils relevant du bon sens, saupoudrez de catéchisme,
inventez quelques situations à titre d’exemple et enfin ingrédient le
plus important : agrémentez d’un maximum de moisissures argumentatives.
En particulier, pour le titre : Allez-y à fond, argumentum ad exoticum
(appel à l’exotisme) et argumentum ad antiquitatem (appel à la
tradition). Vous pouvez par exemple intituler votre livre : « Accédez au
bonheur grâce aux 8 conseils simples de ma grand-mère celte », « Les 10
potions druidiques », « 3 traditions que nous enseigne Zanahary, la
sagesse des Malgaches », etc. Quels conseils ? Mangez équilibré,
respectez les gens même ceux dont vous ne respectez pas les idées, ne
soyez jamais violent physiquement, verbalement ou insidieusement,
n’abusez pas des bonnes choses surtout si elles peuvent être néfastes
pour votre santé ou celle de vos proches,… peu importe ! Attention,
n’oubliez pas que votre lectorat doit être le plus large possible donc
rédigez votre texte avec des mots simples et surtout bourrez votre
argumentation d’exemples (même stupides), n’hésitez pas à vous répéter
(pour donner un peu de consistance et marteler vos idées), ne soyez
surtout pas regardant sur le style littéraire !
« Les quatre accords toltèques » n’est pas un livre, c’est un agrégat de
psychologie de comptoir. Ce texte ressemble plus à l’idée que je me fais
d’un article parapsychologie d’un Closer ou d’un Femme Actuelle qui
aurait été trop long et trop mal rédigé pour pouvoir se glisser entre
l’article sur la détox du foie et la publicité Boiron.
Si vous avez aimé cet ouvrage, vous estimez très certainement que mon
propos est infondé, qu’autant de lecteurs ne peuvent pas se tromper
(argumentum ad populum), que je n’ai rien compris de son propos, je vous
propose donc de poser une loupe sur quelques passages :
Dans le chapitre « Le processus de domestication et le rêve de la
planète », après plusieurs paragraphes qui ne font que répéter encore et
encore que notre système éducatif actuel est cruel et fondé sur des
punitions et des mensonges, vous pouvez lire :
Si l’on regarde la
société humaine, on constate que la raison pour laquelle il est si
difficile d’y vivre est qu’elle est régie par la peur. Aux quatre coins
de la planète on voit de la souffrance humaine, de la colère, un esprit
de revanche, des toxicomanies, de la violence dans la rue et une
incroyable injustice […] Si l’on compare le rêve de la société
humaine avec la description de l’enfer que les religions du monde entier
ont promulguée, on constate que les deux sont identiques. Les religions
disent que l’enfer est un lieu de punition, de peur, de douleur et de
souffrance, un lieu où le feu vous brûle. Le feu résulte des émotions
nées de la peur…
et ça continue ainsi plusieurs pages. L’auteur
matraque son idée de monde oppressant pour la mettre en opposition avec
la société idéale qui serait celle qu’il propose. À aucun moment, on ne
met de nuance, il n’y a que douleurs et peine dans le monde manichéen de
l’auteur. Pas de rires d’enfants, pas de repas entre amis, pas de
plaisir, pas de bonté, de gentillesse, de solidarité, pas de coucher de
soleil, pas de littérature enrichissante, pas de professeur
encourageant, pas de fraternité, pas de bain de soleil, pas de câlins
sous la couette,… Tout est noir et morbide car “les humains résistent
à la vie. Être vivant est leur plus grande peur…” (et encore et encore
sur des pages et des pages…). Mais heureusement voici les 4 accords
toltèques ! Une introduction aussi oppressante serait digne d’un journal
du 20h !
Le premier accord toltèque […] Votre parole est votre pouvoir
créateur. C’est un cadeau qui vous vient directement de Dieu. L’évangile
selon saint Jean, dans la Bible, parlant de […]
Ah, bien ! Maintenant
vous êtes clairement au courant, s’il avait été honnête, Don Miguel Ruiz
aurait intitulé son livre « Jésus chez les Toltèques ». Je ne suis pas
croyant, j’ai donc décidé de faire abstraction des nombreuses références
catholiques de l’ouvrage. Si vous êtes athée, notez donc qu’il s’agit
bien plus d’un livre catholique que d’un livre de découverte de la
culture toltèque (les Toltèques ne sont qu’un prétexte car si c’est
vieux et exotique, c’est forcément mieux). Le dernier mot du livre est
d’ailleurs “Amen”.
Toujours dans ce chapitre :
La parole est si puissante qu’un seul mot
peut changer une vie ou détruire l’existence de millions de personnes.
Il y a quelques décennies, la parole d’un seul homme en Allemagne a
manipulé toute une nation peuplée de gens intelligents. Il les a
conduits à la guerre, par la seule puissance de sa parole. Il a réussi à
convaincre certains de commettre les actes de violence les plus atroces
qui soient. Sa parole a réveillé les peurs des gens et, comme une
immense explosion, les tueries et la guerre ont ravagé le monde entier.
Comment est-il possible de faire une si simpliste description de la
seconde guerre mondiale ? Comment peut-on avoir une vision aussi
manichéenne d’un événement aussi complexe ? Il s’agit là du pire exemple
de pensée simpliste développée dans l’ouvrage mais si c’est le pire
c’est surtout très loin d’être le seul. Vous êtes prévenus.
Page suivante, vous pourrez lire :
Je vois un ami et lui fais part d’une
opinion : Tiens ! La couleur de ton visage est celle des gens qui vont
avoir le cancer. S’il écoute cette parole et s’il est d’accord avec, il
aura un cancer dans moins d’un an.
Cet exemple est tellement génial !
D’abord, par la crédibilité du dialogue mais aussi pour le propos d’une
précision incroyable : le fait qu’un cancer puisse se développé
uniquement par effet nocebo semble peu probable, mais là on vous précise
même le temps nécessaire ! C’est d’ailleurs bien connu, les
hypocondriaques meurent tous d’un cancer moins d’un an après
l’apparition de leur hypocondrie, non ?
N’ayant pas peur d’être insistant, suivent ensuite un long exemple avec
une fille à qui on dit qu’elle est laide, puis une page complète pour
quelqu’un à qui on dit qu’il est stupide. Quelques paragraphes
répétitifs plus loin, on retrouve encore un autre exemple avec votre
meilleure amie qui vous dit :
« Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as une de
ces têtes ! Et regarde comment tu es habillée : tu as l’air ridicule. »
Peut-être que cette amie vous a-t-elle dit cela juste pour vous
blesser.
Vraiment ? C’est une description normale d’une discussion avec
une meilleure amie ? À chaque exemple d’amitié dans le livre, le propos
est ignoble, cela me semble étrange. S’ensuit alors encore plusieurs
paragraphes d’une analogie parole/magie qui est répétée un nombre de
fois incroyable…
Pour la suite, on décrit simplement les autres principes en long et en
large, avec toujours autant d’exemples absurdes. Vous pouvez me dire que
ce sont de bons conseils et vous auriez raison mais honnêtement,
avez-vous vraiment besoin d’un chaman pour vous dire qu’il faut faire de
son mieux (4e accord), qu’il ne faut pas se croire le centre du monde
(2e accord), qu’il faut profiter de la vie, avoir des pensées positives,
ne pas insulter vos enfants lorsque vous êtes fatigués, ne pas passer sa
vie à attendre dans le canapé,… Les conseils prodigués sont juste du
bon sens accompagnés d’arguments fallacieux et d’exemples caricaturaux.
En lisant ce livre, je repense aux personnes qui me disait de voir les
côtés positifs de la vie, d’avoir des pensées positives lorsque j’ai
fait une dépression. Comme si cela n’allait pas de soi − Oh merci pour
ce conseil d’une grande sagesse je n’y avais pas pensé !
Un dernier exemple, où on constate que l’auteur ne met aucune nuance
dans son propos :
si on regarde des enfants de deux ou trois ans, on
constate qu’ils arborent la plupart du temps un grand sourire et qu’ils
s’amusent […] Les très jeunes enfants n’ont pas peur d’exprimer ce
qu’ils ressentent […] Ils n’ont aucune peur d’aimer. Voilà la
description d’un être humain normal. Enfants, nous n’avons ni peur du
futur ni honte du passé. Notre tendance humaine naturelle est de jouir
de la vie, de jouer, d’explorer, d’être heureux, d’aimer. […]
Regardez des enfants jouant aux adultes, leurs petites mines changent.
Je vais faire semblant d’être un avocat dit l’un d’eux. À l’instant, son
visage se transforme et l’expression d’un adulte prend le dessus
Cette description idéalisée de l’enfance en opposition avec l’adulte triste qui
est responsable, a des choses à faire, doit travailler, gagner sa vie
ne vous semble-t-elle pas incroyablement simpliste ?
Et c’est ainsi encore et encore et encore… L’auteur use et abuse de la
répétition à la limite du lavage de cerveau, comme le ferait un gourou.
Il présente des généralités, très certainement pour que l’effet Barnum
vous fasse adhérer au propos (vous savez, cet effet qui vous donne
l’illusion que votre horoscope correspond vraiment à votre profil).
C’est très certainement le livre qui m’a le plus donné l’impression
d’être manipulé par son auteur, avec de grosses ficelles, sans aucun
talent littéraire. Je suis triste de constater que ce livre est un
succès de librairie. Vous méritez tellement mieux. J’ai l’impression que
mon développement personnel est bien mieux traité par « GTO » et
« Assassination Classroom » (pour la pédagogie), les textes de Laurent
Gaudé (pour la tolérance, la compréhension d’autrui), « 1984 », « Le
meilleur des mondes » ou « Fahrenheit 451 » pour développer mon désir de
liberté et de culture, les textes d’Hubert Reeves pour voir la poésie de
notre monde, les textes de chansons, les séries, les comics, manga, BD,
vulgarisations, les grands classiques, France Culture, les discussions
entre amis… Préférez un enrichissement par la diversité plutôt que
quatre dictons de grand-mère certes bien sympathiques mais évidents,
perdus dans la litanie d’un gourou. Un long sermon qui place le lecteur
dans la passivité intellectuelle, gavé par un cours magistral non
documenté, je préfère lorsqu’un livre m’invite à réfléchir et analyser
par moi-même.