Je travaille dans un laboratoire de physique. Au mois de décembre, la direction a
sollicité le département “Optique et photonique” pour tenter de profiter de la
sortie de Star Wars pour faire parler du laboratoire dans la presse.
Puisque notre département travaille avec des lasers…
J’avais commencé à écrire un texte même si je savais que celui-ci ne
serait jamais utilisé (déjà, parce que les journaux ont été contactés
fin janvier, et puis pour plein d’autres raisons…). Cela m’a demandé
une grosse heure pour écrire cette ébauche, obtenant alors simplement un
texte non finalisé (le plus difficile c’est toujours la finalisation),
ce que je considérai comme un brouillon.
Quand au début du mois, je suis tombé sur
2016 au cinéma : non à Star Wars, oui au retour des Nanars !,
j’ai plus ou moins été étonné : la trame ressemblait pas mal à celle que
j’avais choisie, je commençais donc à comparer les textes. J’étais très
déçu par l’article qui n’abordait des sujets que pour être négatif à
leur propos et ai alors pensé, que je tenais la comparaison. Là où
j’estimais que mon texte était un simple brouillon, le journaliste,
certainement parce qu’il doit énormément produire, estime le sien
suffisamment travaillé pour qu’il soit publié…
Bref, voici le texte que je m’étais amusé à écrire :
Star Wars par-ci, Star Wars par-là, les services de communications de
Disney ont très bien travaillé : si vous n’avez pas été mis au courant
de la sortie d’un nouvel épisode de la saga en cette fin d’année 2015,
c’est très certainement que vous vivez dans une grotte. Et maintenant
tout le monde va vouloir profiter de l’aura du film pour faire sa propre
promotion : les articles de vulgarisation scientifique sur la
faisabilité des voyages interstellaires à la vitesse de la lumière, les
articles philosophique sur ce qu’est la Force, des vidéos
promotionnelles de parkour sur le thème des Jedi, sans parler des
produits dérivés… chacun tentera de tirer la couverture à lui pour
faire parler de son action, même dans l’hémicycle on se plaint de
l’omniprésence médiatique de la saga pour se faire remarquer.
Mais cette surenchère médiatique n’est rien, du moins vous n’en
souffrirez que très peu en comparaison de ce que nous allons vivre au
sein du département Optique et Photonique de l’Institut de Physique de
Rennes. S’il y a bien une chose de l’univers Star Wars qui est chaque
fois sujet de grande discussion c’est ce fichu sabre laser ! C’est même
pire que d’habitude puisque dans ce nouvel épisode le sabre de Kylo Ren
est particulièrement atypique !
Pourquoi en parler de façon négative ? Parce que dans le cadre de notre
travail, nous travaillons en permanence avec des lasers, des vrais
lasers, pas ceux qui permettent de découper des seigneurs Sith, mais des
lasers qui vous obligent à porter des lunettes de protection – leur
puissance permet à peine de découper du beurre mais réussissent tout de
même à vous massacrer la macula de manière définitive si vous ne les
manipulés pas avec une extrême précaution — les vrais lasers n’ont
rien de bien impressionnant, la plupart émettent d’ailleurs un faisceau
invisibles à l’œil nu (le plus souvent dans l’infrarouge). Pourtant dans
l’imaginaire collectif, le sabre laser reste la référence. Comment
pourrions nous expliquer notre travail dans de telles conditions ! Je
vous le dit, Star Wars est une plaie pour les opticiens de précision.
D’ailleurs, prononcez le mot « laser » auprès du grand public, personne
n’imaginera jamais autre chose qu’un maudit sabre de lumière. De lumière
oui, parce qu’en plus, vous l’ignorez peut-être mais seule la traduction
française fait référence au laser, dans la version originale, il s’agit
de Lightsaber, littéralement “sabre de lumière” ! Cela n’a rien à
voir avec notre cœur de métier. Notre travail ne consiste pas à ajuster
non plus à ajuster le pistolet de Han Solo pour qu’il puisse tirer le
premier ou faire en sorte que des photons qui croisent le fer
s’entrechoquent. Que nenni ! De fait, notre travail aura beau être
intéressant, comment pourrions nous tenir la comparaison !
Dans un laboratoire d’Optique de précision nous faisons des expériences
qui ne sont pas aussi affriolantes que la tenue d’esclave de Leia dans
la première trilogie, et pourtant… pourtant il y a une beauté
scientifique qui ne semble étrangement ne faire rêver que nous : Les
thématiques clés du Département Optique et Photonique sont : les
oscillateurs lasers, l’optique hyperfréquence et TéraHertz pour la
métrologie, les senseurs interférométriques, l’imagerie avancée et la
photonique intégrée. Nos études visent à approfondir les connaissances
fondamentales sur la lumière et son interaction avec la matière et à
développer des applications innovantes (sources laser, oscillateurs,
capteurs, systèmes d’imagerie, etc.) en collaboration avec des acteurs
industriels. Ces activités s’appuient sur des expériences menées au
laboratoire avec un parc important de systèmes optiques et lasers
(lasers à solides, lasers à semi-conducteurs, lasers femto-secondes,
etc.). Maintenant que vous savez, vous comprenez que même Jakku semble
être une véritable source de distraction pour toute personne déambulant
réellement dans un laboratoire d’Optique.
D’ailleurs, c’est quoi en fait un vrai laser : Un milieu amplificateur
et deux miroirs. L’un des deux miroirs n’est pas réfléchissant à
100%,… vous décrire le principe plus en détail serait inutile, vous
allez vous ennuyer et votre esprit retournera vagabonder aux côtés de
Daisy Ridley ou succomber au sourire de John Boyega (selon vos goûts).
Bon un schéma quand même, juste pour la culture personnelle :
[Comme je n’ai pas pris le temps de faire un schéma, autant réutiliser
ici une vidéo de wikipédia (vidéo de Julien Bobroff (J’ai eu la chance
d’assister a une de ses conférences à l’Institut de Physique de Rennes, vous pouvez le voir par exemple dans
une des vidéos de l’espace des sciences) ]
Alors non, nous n’avons pas de sabre de lumière ou pistolets, non, nous
ne découpons pas, nous ne tirons pas, mais nous doublons des fréquences,
nous interférons, nous faisons battre des bi-fréquences pour obtenir des
rayonnements TeraHertz, nous imageons,… c’est déjà pas mal !
Quand on pense que cette année était l’année de la lumière et que nous
avons communiqué autant comme autant, que ce soit lors de Fête de la
Science, pour des illuminations du parlement, l’organisation de congrès
et que l’information est très difficilement parvenue à votre oreille, on
peut certainement penser que nous devrions faire appel à Disney pour
faire la promotion de nos laboratoires, c’est peut-être cela la leçon
que nous devrions retenir. Que l’on ne s’y méprenne pas, nous aimons la
saga Star Wars et ce nouvel épisode est certainement notre préféré, nous
ne cherchons là aucunement à critiquer cet univers ou même critiquer le
rouleau compresseur médiatique Disney, nous faisons ici, ni plus ni
moins comme les autres : de la visibilité auprès du grand public,
profiter nous tentons ! Que la Force soit avec vous…